Thiés/Exploration des Érudits Tidjanes du Sénégal: À la rencontre des lieutenants de Cheikh Ahmad Tidiane cachés dans nos 14 régions

Tafsir Ahmadou Barro Ndieguène: Le Sage du Cayor, Artisan de l’Unité dans la Spiritualité

Serigne Tafsir Ahmad Barro Ndieguène, né en 1825 à Kasass près de Kaffrine, au cœur du Saloum terre des érudits, porte en lui l’héritage d’une lignée noble et érudite. Fils cadet de l’éminent savant et conseiller des Beuleup Ndoukoumane Tafsir Médoune Ndieguène, il grandit dans une atmosphère où chaque souffle portait la fragrance du savoir et de la dévotion. Sa mère, Sokhna Fatoumata Ndao, issue de l’illustre famille des « Beuleup » Ndoucoumane, était elle-même un pont entre la noblesse temporelle et la piété spirituelle. Dès son enfance, il baigna dans le Coran, sous l’œil vigilant de son père, mémorisant les versets sacrés avec une dévotion rare. Ce savoir précoce le poussa à quitter sa terre natale pour parfaire son éducation religieuse à Rufisque, sous la tutelle de son oncle, Birane Cissé.

À Rufisque, Tafsir Ahmad Barro approfondit sa connaissance de l’islam auprès de Cherif Sidi Mouhamed, descendant direct du Prophète Mouhamed (PSL). C’est là, dans l’intimité des cercles de la connaissance sacrée, qu’il reçut une mission divine. Le Prophète, par l’intermédiaire de Cherif Sidi Mouhamed, lui confia la tâche de porter la lumière de l’islam à Thiès, une terre qui, alors, attendait encore sa véritable révélation spirituelle.

Lorsqu’il arriva à Thiès, Tafsir Ahmad Barro Ndieguène s’installa près de la Gouvernance coloniale. Mais c’est un rêve qui le guida vers l’emplacement qui allait devenir son sanctuaire spirituel : Keur Mame El Hadji. Dans ce lieu, il fit surgir une cité religieuse des entrailles de la terre, élevant un daara, une mosquée, et une zawiya. Ce qui n’était autrefois qu’une forêt sauvage devint sous sa main une oasis de foi, de savoir et de piété. Keur Mame El Hadji n’était plus seulement un lieu de résidence, mais un espace sacré, un phare dont la lumière spirituelle allait rayonner bien au-delà des frontières de Thiès.

Les Baye Fall, ces dévoués disciples de Cheikh Ibrahima Fall, apportèrent leur labeur, infatigable et béni, à la construction de la mosquée. Ils mirent leurs mains au service de Dieu, érigeant des murs qui allaient devenir le cœur battant de la communauté. Ainsi, Keur Mame El Hadji devint un lieu où toutes les confréries pouvaient se retrouver, un carrefour de la foi où l’unité triomphait de la diversité. Avec une sagesse rare, Tafsir Ahmad Barro Ndieguène transforma les mœurs de cette ville, orientant ses habitants vers une vie de piété et d’engagement religieux, là où autrefois régnaient les jeux et les divertissements.

L’engagement de Tafsir Ahmad Barro Ndieguène envers la Tariqa Tidjaniya fut total et inébranlable. En tant que Moukhadam de Cheikhoul Omar Foutiyou Tall, il joua un rôle central dans la diffusion de cette confrérie au Sénégal. Il reçut le wird de son père qui lui, l’a reçu directement de El Hadj Omar Tall, devenant ainsi l’un des piliers de la propagation de la Tidjaniya, notamment à Thiès. Sa zawiya, construite sur les dimensions sacrées de celle de Cheikh Ahmad Tîdjânî à Fez, devint un lieu de rassemblement pour les fidèles, un sanctuaire où les enseignements de la Tidjaniya continuaient de vivre et de se transmettre.

Au-delà de son rôle spirituel, Tafsir Ahmad Barro Ndieguène se distingua par ses relations avec les autres grandes figures religieuses de son époque. Sa quête d’unité et d’harmonie le rapprocha de Seydi El Hadj Malick Sy, de Cheikh Ahmadou Bamba, de Mame Cheikh Ibrahima Fall, de Mame Abdoulaye Niass, de Mame Boucounta, et de Mame Amary Ndack Seck. Ces alliances spirituelles renforcèrent les liens entre les différentes confréries, consolidant l’idée d’une ummah soudée et unifiée.

En 1895, lors du passage de Cheikh Ahmadou Bamba à Thiès, en route pour son exil, les deux hommes se rencontrèrent à la gare ferroviaire. Ce fut un moment de grande signification, un échange qui scella une alliance fraternelle entre les familles Mbacké et Ndieguène, une alliance qui continue de vibrer encore aujourd’hui. De même, El Hadji Abdoulaye Niass, de retour de Fez en 1911, vint rendre hommage à Tafsir Ahmad Barro Ndieguène en redimensionnant la zawiya de Keur Mame El Hadji. Ce geste symbolique marqua l’unité de la Tidjaniya à travers les frontières et renforça l’importance de la zawiya comme lieu sacré.

Dans son engagement à diffuser l’islam, Tafsir Ahmad Barro Ndieguène fit de Keur Mame El Hadji un modèle de coexistence pacifique entre les différentes confréries du Sénégal. Il s’érigea en défenseur de la dignité humaine, se battant pour offrir une sépulture digne aux victimes de l’épidémie de peste qui frappa la région. Ce geste de compassion et de foi reflète l’homme qu’il était : un leader qui mettait l’humanité et la spiritualité au centre de son action.

En tant que premier imam officiel de Thiès, Tafsir Ahmad Barro Ndieguène exerça une influence profonde sur la vie religieuse de la région. Ses sermons, empreints de sagesse et de lumière divine, étaient attendus avec ferveur par la population. Sa nomination en tant qu’imam de la grande mosquée de Thiès, vers 1908, fut un tournant dans l’histoire religieuse de la ville. Sous son égide, la communauté musulmane de Thiès prospéra, faisant de la ville un centre spirituel majeur.

Serigne Tafsir Ahmad Barro Ndieguène, béni par une vie longue et fructueuse, quitta ce monde en 1936, à l’âge vénérable de 111 ans. Cette longévité exceptionnelle, qui semble être une marque de la faveur divine, se perpétue à travers ses descendants. Son fils, Cheikh Ahmed Sakhir Ndiéguène, vécut jusqu’à 107 ans, et l’actuel Khalife frôle les 100 ans. Cette bénédiction, ce charme, semble être gravé dans la destinée de Keur Mame El Hadji, une cité qui continue de rayonner sous la bienveillance divine.

Après le décès de Serigne Tafsir Ahmad Barro, Cheikh Ahmed Sakhir Ndiéguène prit la relève, fort de l’expérience acquise aux côtés de son père. Il agrandit la zawiya, rénova la mosquée, et poursuivit l’œuvre d’islamisation des régions voisines, étendant l’influence de Keur Mame El Hadji bien au-delà de ses frontières initiales. Les Khalifes qui lui succédèrent — El Hadji Assane Ndiéguène (1997-2005), El Hadji Abdoul Wahab Ndiéguène (2005-2010), El Hadji Abdoul Aziz Ndiéguène (2010-2018), et El Hadji Mounirou Ndiéguène, l’actuel Khalife — ont tous veillé à préserver et à enrichir cet héritage, gardant vivante la flamme de la spiritualité et de l’unité.

Aujourd’hui, plus que jamais, le nom de Serigne Tafsir Ahmad Barro Ndieguène résonne comme celui d’un géant spirituel, un guide éclairé, et un artisan de l’unité confrérique. Son œuvre, poursuivie par ses descendants, continue d’illuminer les chemins de la foi, faisant de Keur Mame El Hadji un phare pour les générations présentes et futures. Cette cité, fondée sur la dévotion, le savoir, et l’unité, demeure un modèle de ce que la foi, lorsqu’elle est portée par une intention pure et un cœur dévoué, peut accomplir. Serigne Tafsir Ahmad Barro Ndieguène, par son engagement indéfectible, a laissé un héritage qui transcende les âges, un héritage qui continue de guider les âmes en quête de vérité et de lumière.

Seydi enseignant à l’IEF de Guinguinéo

Toutes mes remerciements à Tafsir Ahmadou Barro Ndieguene pour les apports d’informations

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