L’héritage en droit sénégalais de la famille, par Amadou Séga KEITA, Juriste consultant
L’héritage est un mot lourd de sens, très complexe et se passe toujours après une perte immense.
Le droit des successions et le droit des libéralités est le droit de la transmission de générations en générations et de ce fait il est au cœur du droit des personnes, de la famille, des biens et des obligations.
Ainsi il s’avère sans aucun doute la matière la plus féconde du Droit, incluant toutes les autres branches du droit privé et même du droit public quand il met en cause des successions dans le droit international privé avec les mariages mixtes et la question de la détermination du droit applicable, il pose des questions de la Diplomatie et des questions de souveraineté.
En effet, l’article 711 du code civil dispose que : « la propriété s’acquière et se transmet par succession, par donations entre vifs ou testamentaires ou par l’effet des obligations.
L’étude des successions et celle des libéralités sont indissociables, si la succession intéresse les conséquences légales du décès d’un individu le patrimoine du défunt, la libéralité au contraire est un acte juridique, que ce soit une donation entre vifs ou un legs, qui permet à une personne de disposer à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits ou profit d’une autre personne.
L’étude des libéralités en tant que acte Juridique devrait normalement être rattachée à celle des contrats spéciaux ? Cependant la libéralité, celle par exemple véhiculer par testament (legs) est également un acte successoral, puisque le testateur en disposant de ses biens pour après sa mort, organise sa succession : « succession testamentaire ».
Toutefois vu que les libéralités ne posent en principe pas grandes difficultés sauf en matière immobilière avec la nécessité du respect de la formalité substantielle de la mutation, notre réflexion portera essentiellement sur les successions légales.
En français facile, Hériter c’est succéder aux biens ou droits patrimoniaux d’une personne en partie ou en totalité mais jamais aux droits extrapatrimoniaux, exemple sa conjointe ou épouse ou encore ses enfants.
Quel que soit le régime matrimonial choisi, les règles relatives à l’héritage s’appliquent à tous, mêmes aux personnes célibataires qui meurent en laissant des parents ou enfants.
En réalité l’héritage est lié non pas directement à l’individu mais plutôt à un fait naturel ou fait de l’homme entrainent une inexistence juridique ou la mort.
D’ailleurs l’article 396 du code de la famille soutient que les règles régissant l’héritage s’appliquent à toutes les successions ab intestat (régime de séparation des biens, le régime dotal et le régime communautaire de participation aux biens et aux acquêts) dans la mesure où elles ne sont pas contraires aux dispositions prévues au titre III du présent livre.
Cependant, la cible de cet article est fondamentalement les non-initiés au Droit et par conséquent l’approche sera simpliste et synthétique mettant en relief les aspects les plus saisissants de la matière et même les étudiants en droit y trouveront naturellement leurs comptes.
L’OUVERTURE DES SUCCESSIONS :
En vertu de l’article 397 du code de la famille, la succession s’ouvre par la mort et par la déclaration judiciaire du décès en cas d’absence ou de disparition dument constaté par le jugement déclaratif de décès autrement dit il s’agit là de personnes dont on n’a plus de nouvelles depuis plus de dix ans (10 ans) suite à un voyage (l’absence) ou de personnes ayant disparues lors d’une catastrophe naturelle comme les grandes inondations, les tremblements de terre, les guerres, les accidents d’avions ou naufrage à l’image du « bateau le diola ou le Titanic » etc. Elle s’ouvre au lieu du dernier domicile du défunt.
Article 398 « Co-mourants » Lorsque plusieurs personnes successibles les unes des autres, périssent dans le même événement ou des événements concomitants, sans que l’ordre des décès soit connu, elles sont présumées décédées au même instant, sauf preuve contraire qui peut être administrée par tous moyens comme le témoignage. A défaut de cette preuve, la succession de chacune d’elles est dévolue aux héritiers ou légataires qui auraient été appelés à la recueillir à défaut des personnes qui ont trouvé la mort dans lesdits événements.
LES QUALITES REQUISES POUR SUCCEDER : Qui peut succéder ?
Rappelons-nous que le droit coutumier ou traditionnel négro africain n’est pas trop formaliste en matière de succession et exclut très rarement un héritier consanguin de l’héritage contrairement au droit musulman qui lui s’avère trop discriminatoire pour les enfants nés hors mariages et les enfants adultérins malgré une reconnaissance à l’état civil. Cependant même si le droit musulman pose des conditions trop dures pour ces deux catégories d’enfants, il crée encore une véritable discrimination au moment du partage des biens.
Le droit commun à l’avantage d’être plus libéral et plus pragmatique.
En vertu de l’article 399 du code de la famille, ne peuvent succéder que les personnes dont l’existence est certaine à l’instant du décès. L’enfant simplement conçu peut succéder s’il naît vivant. La date de la conception est déterminée conformément aux dispositions de l’article 1er du présent Code.
C’est pourquoi le respect du délai de viduité permet efficacement de ne pas exclure illégalement un des enfants du défunt ou de cujus, de sa succession autrement dit au moment de l’ouverture de la succession c’est possible que l’épouse soit en état de grossesse difficilement identifiable à l’œil nu et même par la science.
Nb : Pour pouvoir succéder il faut nécessairement être vivant et avoir une existence certaine à l’instant du décès ou encore naitre vivant pour les enfants simplement conçus.
COMMENT PROUVER LA QUALITE D’HERITIER ?
En vertu de l’article 403 et sous réserve des dispositions de l’article 257, la qualité d’héritier s’établit par tous moyens. Elle peut être établie à l’égard des tiers par un intitulé d’inventaire notarié, par un acte de notoriété dressé par un notaire ou par un jugement d’hérédité établi par le juge du tribunal d’instance (ancien juge de paix ou du tribunal départemental) sur la déclaration de deux témoins et rendu en audience publique. Par conséquent il ne suffit pas d’être parent ou avoir un lien de consanguinité mais encore faudrait-il le prouver officiellement par un acte authentique ou authentifié.
En ce qui concerne la pétition d’hérédité, l’action en pétition d’hérédité est portée devant le juge du tribunal d’instance ( ex tribunal départemental ou juge de paix) du lieu d’ouverture de la succession. Elle se prescrit par l’expiration d’un délai de 10 ans en vertu de l’article 404 du code de la famille.
RECTIFICATION EN CAS D’ERREUR SUR LE « VRAI HERITIER » ?
S’il arrive par erreur ou dol (tricherie ou tromperie), qu’une personne bénéficie indument de l’héritage l’article 405 fait obligation à l’héritier apparent de restituer à l’héritier réel dont la qualité a été reconnue tous les biens composant l’hérédité. Si l’héritier apparent est de mauvaise foi, il doit restituer tous les fruits produits par l’héritage, s’il est de bonne foi, il fait les fruits siens jusqu’au jour de la demande de restitution.
En vertu de l’article 406 les actes de l’héritier apparent sans préjudice de l’application des dispositions des articles 167 et 262 du Code des Obligations civiles et commerciales, sont opposables à l’héritier véritable les actes d’administration de l’héritier apparent relatif aux biens héréditaires.
Autrement dit, ce serait exactement comme le cas d’une gestion d’affaire et l’héritier apparent sera considéré comme gérant et ne peut être responsables que des actes commis de mauvaise foi. L’application de cette règle du droit commerciale en la matière trouve tout son pesant d’or dans le fait que la gestion du patrimoine peut entrainer un développement exponentiel des biens et c’est à l’image d’une poule dont on hérite, si la poule se multiplie, en cas d’un héritier apparent de mauvaise foi, il sera tenu de restituer aussi bien la poule que toutes les poules et si possibles les œufs pondues par la poule et sa descendance. Pour l’héritier apparent de bonne foi c’est-à-dire impliqué dans l’héritage par erreur, si la poule meurt indépendamment de sa volonté, il ne restitue rien.
LES EXCLUS DE LA SUCCESSION : Qui ne peut pas succéder ?
Pour des raisons morales et de sécurité de la vie des personnes, le législateur a objectivement exclu une catégorie de personnes de la succession de leur parent malgré la réalité du lien familial.
Il s’agit de personnes déclarées officiellement par les cours et tribunaux comme indignes de succéder soit de plein droit soit de façon facultative autrement dit on parle d’indignité successorale.
L’indignité successorale de plein droit frappe et exclut de la succession toute personne qui a été condamnée définitivement en tant qu’auteur, co-auteur ou complice pour avoir volontairement donné la mort ou tenté de donner la mort, ou porté des coups mortels au défunt.
Cette exclusion est expressément édictée par l’article 400 du code de la famille.
Quant à l’indignité successorale facultative édictée par l’article 401 du code de la famille, les personnes qui peuvent être déclarées indignes de succéder sont: 1° Celui qui s’est rendu coupable envers le défunt de sévices, délits ou injures graves; 2° Celui qui a gravement porté atteinte à l’honneur, à la considération ou aux intérêts patrimoniaux du défunt ou de sa famille. En pratique, cette exclusion n’est pas automatique et nécessite la saisine du juge compétent et une décision judiciaire définitive.
Cependant l’article 402 prévoit la possibilité du pardon par le défunt avant sa mort et ceci fait cesser l’indignité. La preuve peut en être rapportée par tous moyens.
QUI PEUT EXERCER L’ACTION EN INDIGNITE SUCCESSORALE ?
L’action en déclaration d’indignité est ouverte à toute personne intéressée dont notamment par l’un des héritiers ou les héritiers et par l’Etat par le biais du ministère public cf le procureur de la République habilité à défendre la sécurité des personnes et des biens ainsi que la société en cas de crime ou délit ou toute autre personne pour violation de l’ordre public. Un professeur émérite disait que l’ouverture de l’action à toute personne intéressée mêmes les tiers, est stratégique, parce qu’elle permet d’exclure « les vautours » c’est-à-dire ceux qui abandonnent leurs parents dans la pure misère ou provoquent indirectement leur mort par non assistance à personne en danger et ne se présentent qu’à l’annonce de leur décès pour récolter ce qu’ils n’ont jamais semé.
LA TRANSMISSION DE L’ACTIF ET DU PASSIF HEREDITAIRES
Il n’ ya aucune formalité substantielle pour disposer du patrimoine du défunt c’est pourquoi en vertu de l’article 407 du code de la famille, aussi bien les héritiers légitimes, les héritiers naturels et le conjoint survivant sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt, sous l’obligation d’acquitter toutes les charges de la succession. Les titres exécutoires contre le défunt sont pareillement exécutoires contre l’héritier personnellement, néanmoins les créanciers ne peuvent en poursuivre l’exécution que huit jours après la signification de ces titres à la personne au domicile de l’héritier.
La simplification de cette procédure est assez pragmatique dans une société jadis et toujours analphabètes et ou les contingences socioculturelles sont très difficiles voire lourdes notamment pendant les funérailles.
La transmission de plein droit concerne surtout la prise en charge automatique de la gestion des biens du défunt et non l’appropriation ou la partage. Cette transmission de plein droit, permet aux héritiers de s’occuper immédiatement et prendre en charge toutes les nécessités pendant les funérailles sans pour autant aller faire du crédit ailleurs.
Toutefois, les héritiers ne doivent pas profiter de cette facilité d’accès aux biens pour organiser un pillage systématique avant l’identification de tous les héritiers et les créanciers éventuels (banques, personnes physiques ou morales) du défunt.
En vertu de l’article 408, n’est tenu des dettes du défunt que jusqu’à concurrence de l’actif recueilli dans la succession par l’héritier à l’égard de l’Etat. Il doit faire apposer les scellés et faire dresser inventaire dans les formes prévues pour l’héritier bénéficiaire. Si les formalités prévues au présent article n’ont pas été remplies, l’Etat peut être condamné à des dommages intérêts envers les héritiers qui se présentent.
Article 409 Droit de prélèvement Dans le cas du partage d’une même succession entre des cohéritiers étrangers et sénégalais, ceux-ci prélèveront sur les biens situés au Sénégal une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger dont ils seraient exclus, à quelque titre que ce soit, en vertu des lois et coutumes locales.
Conclusion
Le droit des successions est un droit pragmatique et pluridisciplinaire. Elle embrasse toutes les disciplines du droit privé et du droit public chaque fois qu’il met en cause des couples de nationalités différentes.
C’est pas parce qu’on est fils de, conjoint de, ou encore parent d’une personne décédée qu’on est automatiquement successeur et même si on n’est pas frappé par l’indignité successorale.
La succession aussi noble soit elle n’est pas automatique en droit sénégalais car le législateur laisse à l’appréciation souveraine du potentiel héritier la faculté d’accepter ou non l’héritage et c’est à partir de là que la question du partage in concreto se posera dans toute sa dimension.
Nb :Dans le prochain article nous verrons « les options légales de l’héritier » et enfin dernier article « le partage de l’héritage en cas de pluralité d’héritiers » à la lumière du droit commun, du droit coutumier et du droit musulman.
Amadou Séga KEITA
Juriste consultant